Malformations congénitales majeures en cas d’exposition au modafinil : des résultats contradictoires


Malformations congénitales majeures en cas d’exposition au modafinil : des résultats contradictoires

Malformations congénitales majeures en cas d’exposition au modafinil : des résultats contradictoires 1024 767 Le CRAT

 

Trois études récentes s’intéressant au risque d’une exposition au modafinil au premier trimestre de la grossesse (T1) présentent des résultats contradictoires.


1. Les données de l’observatoire Nord-Américain Nuvigil/Provigil (cohorte non comparative de grossesses exposées, ( Kaplan et al. (1)) complètent l’alerte succinte émise en 2019 par l’Agence européenne des médicaments (EMA) / ANSM sur un risque de malformation congénitale majeure (MCM) non spécifié en cas d’exposition au modafinil à T1.

Cet observatoire d’exposition au modafinil ou à l’armodafinil en cours de grossesse aux USA (recrutement via les médecins prescripteurs ou par les femmes exposées elles-mêmes, sur la base du volontariat) décrit parmi 148 dyades mère-enfants incluses, 122 grossesses recrutées prospectivement (c’est-à-dire avant connaissance d’une éventuelle malformation ou avant l’issue de la grossesse) dont 110 avec une issue connue. Parmi les issues des 97 expositions à T1 suivies prospectivement, 13 enfants présentaient une MCM (dont 4 torticolis congénital, 2 hypospadias et 3 malformations cardiaques sans plus de précisions) soit une incidence de 13%.
Cette étude, compte tenu de son schéma, ne permet pas de mettre en évidence une association entre l’exposition au modafinil à T1 et la survenue de MCM. Toutefois son résultat attire l’attention de la communauté soignante et des patients compte tenu d’une incidence des MCM en population générale plus faible (risque de base de 2%) (données EUROCAT – registre européen pour la surveillance épidémiologique des anomalies congénitales) (2).
Certaines limites peuvent en effet être évoquées telles que l’absence de groupe de comparaison, le mode de recrutement (auto-sélection par la patiente ou le prescripteur), l’absence de détail concernant la gravité et l’évolution spontanée des malformations cardiaques, ou encore de précision quant à la prise en compte des malformations d’origine chromosomiques. Il faut aussi noter que la définition des malformations majeures dans cette étude repose sur la classification Américaine MACPD (Metropolitan Atlanta Congenital Defects Program Classification) et que parmi les MCM décrites, certaines ne sont pas considérées comme malformations majeures dans la classification Européenne EUROCAT, tels que les 4 cas de torticolis congénital.

2. L’étude de cohorte exposés – non exposés en population générale de Damkier et al. (3) est en faveur d’une augmentation du risque de MCM après une exposition au modafinil à T1 (effectif (n)=49 expositions) versus absence d’exposition au modafinil (n>800 000) : Odds Ratio (OR) ajusté 2,7 IC95% (1,1-6,9) ou versus exposition au methylphénidate (n=963) : OR ajusté 3,4 IC95% (1,2-9,7). Les 6 MCM identifiées dans le groupe modafinil correspondent à une incidence de MCM de 12% versus respectivement 3,9% dans le groupe non exposé et 4,5% dans le groupe méthylphénidate.

Cette étude, fondée sur les registres nationaux de santé du Danemark 2004-2017 (identification des grossesses, des délivrances de médicaments et MCM), est globalement bien conduite et prend en compte des facteurs de confusion pertinents dans le contexte : facteurs liés à la mère (âge, BMI, diabète, HTA, consommation tabagique), usage concomitant de psychotropes, année d’accouchement. Toutefois, d’autres facteurs de confusion importants ne sont pas pris en compte : antécédents personnels et familiaux de malformation, consommation d’alcool, autres expositions (drogues) et autres comorbidités, facteurs socioéconomiques et paternels. De façon appropriée, les dyades mères-enfants avec expositions à des médicaments tératogènes ainsi que les malformations d’origine chromosomiques ont été exclues. L’absence de description des MCM identifiées est un manque important de ce travail qui ne permet pas de progresser concernant la nature éventuelle du risque tératogène, si celui-ci existe (type de malformation).

3. L’étude de cohorte exposés – non exposés en population générale de Cesta et al. (4) n’est pas en faveur d’une augmentation du risque de MCM après une exposition au modafinil au premier trimestre de la grossesse (n=75) versus absence d’exposition (n>1,9 millions) : OR brut 0,63 IC95% (0,09-4,40) avec 1 MCM (Classification Internationale des Maladies-10e version (CIM-10)) dans le groupe exposé. Les 3 MCM identifiées au total dans le groupe exposé au modafinil ( quel que soit le terme de grossesse n=133) correspondent à une incidence de MCM de 2,3% versus 2,1% chez les non exposés.
Cette étude est fondée sur les registres nationaux de santé de Suède 2006-2016 et Norvège 2005-2017 (naissances vivantes issues des registres de grossesses chainées avec les bases de données de délivrance des médicaments et les diagnostics médicaux portés par les spécialistes hospitaliers). Les analyses statistiques ne sont pas ajustées sur les facteurs de confusion potentiels mais la description des caractéristiques maternelles (surpoids et obésité, tabagisme, autres expositions médicamenteuses, comorbidités (liées à l’indication du traitement) plus fréquents dans le groupe non exposés) permet d’envisager que le sens du biais de confusion potentiel pourrait tendre vers une augmentation du risque de MCM dans le groupe exposé au modafinil, ce qui n’est pas constaté. La prise en compte des seules naissances vivantes, est à considérer comme une limite de l’étude (les potentielles fausses couches, mort fœtales in utero ou IMG secondaires à des MCM ne sont par définition pas considérées ici).Aspect fœtal et néonatal.

En conclusion :

A ce jour, compte tenu des forces et faiblesses méthodologiques respectives de ces travaux et de la nature des données présentées, il n’est pas possible de statuer concernant l’absence ou l’existence d’un tel risque et le cas échéant, sur la nature de celui-ci (absence d’identification d’un risque malformatif spécifique).


Les informations sur l’usage du modafinil en cours de grossesse peuvent être trouvées en consultant la page dédiée de notre site : « Modafinil – Grossesse  et Modafinil – Allaitement».

1. Kaplan S, Braverman DL, Frishman I, Bartov N. Pregnancy and Fetal Outcomes Following Exposure to Modafinil and Armodafinil During Pregnancy. JAMA Intern Med. 1 févr 2021 ;181(2):275.
2. European Platform on Rare Disease Registration [Internet]. [cité 7 févr 2022]. Disponible sur : https://eu-rd-platform.jrc.ec.europa.eu
3. Damkier P, Broe A. First-Trimester Pregnancy Exposure to Modafinil and Risk of Congenital Malformations. JAMA. 28 janv 2020 ;323(4):374‑6.
4. Cesta CE, Engeland A, Karlsson P, Kieler H, Reutfors J, Furu K. Incidence of Malformations After Early Pregnancy Exposure to Modafinil in Sweden and Norway. JAMA. 1 sept 2020 ;324(9):895‑7.